Durant les années 60, de plus en plus de personnes s’interrogeaient sur les effets des émanations émises par les voitures sur la nature. Lentement mais sûrement, un changement de culture se mettait en place. Ce changement a pris la forme, vers la fin des années 60, du style wedge (ou en coin) qui, à ce moment, représentait le summum de l’aérodynamisme. Comme si on était parti d’une flèche pour dessiner une voiture. Plus une carrosserie ressemblait à une flèche, moins elle offrait de résistance à l’air, croyait-on, et plus elle pouvait filer vite tout en consommant moins.
L’un des premiers concepts arborant ce style a été l’Alfa Romeo Carabo de 1968. Mais le premier qui a vraiment frappé l’imaginaire a été la Ferrari Modulo.
Cette Ferrari, qui ressemble à tout sauf à une Ferrari, a été dessinée par Paolo Martin pour le compte de Pininfarina. Ce dernier est parti du châssis d’une 512S 1970, une voiture créée pour détruire la concurrence aux 24 Heures du Mans (Groupe 5). Sauf qu’elle ne détruit rien. En fait, aucune des quatre 512S ne termine l’épreuve et Ferrari a rapidement abandonné cette voiture.
Ça tombe bien, un certain Paolo Martin cherche justement un châssis pour créer un concept radical pour le prochain Salon de l’auto de Genève. Ferrari lui fournit le châssis d’une 512S de rechange (qui n’a jamais couru) mais sans ses organes mécaniques. Après tout, il s’agit simplement d’un concept. Et pour être radical, ce concept est radical pas à peu près! La Modulo ressemble davantage à un véhicule lunaire qu’à une automobile.
La Modulo est si basse que le toit doit se rétracter au complet pour que le ou la pilote et son passager puissent y prendre place. Ils s’assoient dans un habitacle qui tient plus du film de science-fiction que de l’automobile. Le volant semble suspendu devant le conducteur tellement son moyeu est profond. Une demi-sphère, qui a le diamètre d’une boule de quille, est placée à droite du pilote et regroupe diverses commandes. On retrouve une autre demi-sphère à gauche. Elle sert de buse de ventilation. Prendre place à bord ne doit pas être une sinécure à cause des très, très larges seuils de portes qui cachent chacun un réservoir d’essence de 40 litres. Notez que le volant est placé à droite.
La spectaculaire voiture est dévoilée lors du Salon de l’auto de Genève en 1970 et crée une véritable commotion, dans le bon sens du terme. À ce moment, la voiture est bleue pâle. Peu de temps après elle est repeinte en noir puis, ensuite, en blanc avec une bande rouge en son centre, ce qui rend mieux justice à ses lignes pour le moins différentes. Cette bande met en évidence la symétrie entre les parties supérieures et inférieures de la voiture.
Après une tournée de plusieurs Salons en 1970, la Modulo retourne chez Pininfarina où elle sera exposée durant de nombreuses années.
En 2014, Pininfarina est au bord de la faillite. Elle vend la Modulo à Jim Glickenhaus, un ancien producteur et réalisateur de cinéma désormais propriétaire d’une écurie de course automobile. Notre homme décide de restaurer la Modulo et d’enfin lui donner le moteur qu’elle aurait dû recevoir dans le temps, un V12 5,0 litres Ferrari accompagné de sa boîte manuelle à cinq rapports. En même temps, Glickenhaus la rend légale pour la route.
Croyez-le ou non, la Modulo peut maintenant prendre la route, comme le ferait une Civic… mais avec bien plus de classe! On a tous l’impression qu’avec ses roues encastrées dans la carrosserie, elle ne peut pas tourner mais ce n’est qu’illusion.
La Ferrari Modulo 125S est encore, plus de 50 ans après son lancement, une voiture extraordinairement spectaculaire. Elle m’a fait rêver quand j’étais enfant, elle me fait encore rêver! J’avais même la version Hot Wheels.
Ce texte, édité pour la version web, a été publié dans l’édition mars-avril 2023 du Tacot, le magazine des Voitures anciennes de Granby.